En un mot, il s’agit d’utiliser des capacités de stockage de chaleur dans les habitats utilisant un chauffage électrique, afin de décaler la consommation d’énergie dans le temps et d’effacer le pic, mais également afin de contribuer à rendre « élastique » la demande.
Lors des dernières rencontres parlementaires sur l’Energie, le point a été maint fois confirmé : on s’occupe beaucoup de l’amont (la production d’électricité), mais pas encore assez de l’aval (la consommation). Hors, il y a beaucoup à faire, notamment pour optimiser ce qu’on appelle le pic de consommation.
Qu’est ce que le pic de consommation ? Comment le gère-t-on aujourd’hui ?
La consommation d’électricité varie dans la journée : en premier lieu parce que beaucoup d’entreprises fonctionnent aux heures ouvrables, puis parce que nous arrivons tous chez nous à la même heure, que nous allumons la télé, que nous remontons le chauffage et préchauffons le four à ce moment. L’écart entre le minimum et le maximum de consommation est de plus de 20%.
Pour que le réseau entier ne tombe pas en rideau, il faut produire la même quantité d’énergie au même moment (car l’électricité ne se stocke pas ou très mal). Les modes de production d’électricité ont tous leur niveau de réactivité : les tranches de nucléaire se programment sur plusieurs mois, les centrales à gaz et à charbon s’allument en quelques heures, et pour gérer la crête du pic, on utilise les turbines hydro-électriques qui s’activent en quelques secondes.
Hormis les turbines, donc, les modes de production d’électricité les plus réactifs sont également ceux qui sont les plus émetteurs de CO2. Donc plus on a une courbe de consommation accidentée, plus on émet de CO2. La raison pour laquelle l’électricité française n’est pas 100% sans CO2, c’est la gestion du pic de consommation. Vous notez au passage qu’on a construit des centrales à charbon dans le but de ne les utiliser que quelques heures par jour. Bonjour le gâchis.
Quelle solution la domotique peut-elle apporter?
L’électricité ne se stocke pas, mais la chaleur oui. L’idée est donc de produire et stocker la chaleur dans les périodes de creux et de la restituer pendant les périodes de pointe. On décale ainsi dans le temps la consommation d’électricité destinée au chauffage, ce qui représente plus de la moitié de la facture électrique française.
Les trois conditions pour y parvenir sont :
- une capacité de stockage calorifique
- un abonnement à l’électricité avec un prix variable
- de la domotique et de l’algorithme
1) Une capacité de stockage énergétique
Un radiateur en fonte de 20kg a une inertie thermique qui peut atteindre une heure. Pour arriver à couvrir les besoins en chauffage d’une maison sur les quatre à six heures de consommation domestique en fin de journée, ce n’est qu’une question de dimensionnement.
La quantité de chaleur que l’on pourra stocker dans la capacité calorifique est proportionnelle à sa masse. La durée pendant laquelle on peut décaler la consommation, elle, est fonction de l’isolation de cette capacité. Si on stocke la chaleur dans une plaque de fonte présentant une large surface de contact avec l’air, la restitution démarre tout de suite. Si, au contraire, on chauffe un mur particulièrement épais par le milieu, le temps que la chaleur se diffuse, il se sera écoulé de 12 à 24 heures. Et si l’on veut aller au bout de la logique, on chauffe un cumulus de 1000 à 3000 litres à 80°C et on récupère cette chaleur en faisant circuler l’eau dans le circuit de chauffage à la demande, plusieurs heures, voire plusieurs jours après.
2) Un abonnement à l’électricité à prix variable
Pour qu’il y ait un intérêt financier à investir dans de tels équipements, il faut que le particulier ou la PME y trouve son compte. Il faut donc qu’il paie beaucoup moins cher l’électricité en période creuse.
Certes, il y a déjà les tarifs heures creuses / heures pleines. Mais la différence entre les deux niveaux de prix est inférieure à 50% (HP=11c, HC=6c), ce qui n’est pas un signal suffisant.
Ce dont je parle, c’est d’un tarif qui soit réellement de reflet, heure par heure, de l’écart entre l’offre et la demande, et qui soit 10 fois moins cher en heures creuses (quitte à être plus cher que le tarif moyen en heures pleines).
Au moins un distributeur d’électricité doit donc proposer un tel abonnement aux particuliers dans les mois ou les années qui viennent. Je sais que ce sera le cas.
3) De la domotique
Pour orchestrer cette gestion de l’énergie, il va falloir un peu d’automatisation. La complexité n’est pas dans les algorithmes à développer, mais dans la standardisation des modes de communication entre les appareils.
Les acteurs de la domotique proposent aujourd’hui des solutions propriétaires, incompatibles avec du matériel dont ils ne sont pas les constructeurs.
On voit cependant apparaître des débuts de standardisation comme X10 (CPL) qui est plus connu aux Etats-Unis qu’en Europe, Zigbee (radio), ainsi que le projet confié par le GAELD à AlterWay pour piloter des compteurs intelligents. Il existe également des solutions de monitoring comme celle de Vizelia. J’ai même trouvé un fil twitter issu d’un monitoring de domotique !
Pour aller encore plus loin : la même chose sur plusieurs jours
Les variations de consommation s’observent au cours d’une journée, mais également sur plusieurs jours. Et sur plusieurs jours, on peut aussi constater une variation la production électrique des ENR. Pourquoi alors ne pas envisager de stocker de la chaleur au delà de la journée?
Il faut des capacités de stockage plus lourdes et plus volumineuses, un tarif qui varie non seulement dans la journée mais également d’un jour sur l’autre, et du côté de la domotique, un peu plus d’informations en entrée (des flux de données de la part de Météo France et de RTE sur tes températures et les prix du kWh à venir) et des algos un peu plus sophistiqués, voire un moteur d’optim.
D’autres moyens de stockage
Il y a d’autres formes d’énergies qui se stockent : on peut, par exemple, faire de l’hydrogène par hydrolyse de l’eau, dans le but de faire fonctionner des piles à hydrogène. Il y a des déperditions à chaque transformation d’énergie, mais si on part d’une électricité quasiment gratuite, on ne va pas se gêner !
La chaleur latente de l’eau est également une bonne piste, surtout dans le stockage du froid : faire des glaçons la nuit pour climatiser plus efficacement le jour.
Pour conclure
Ces réflexions m’amèneront ou non vers un projet professionnel. Aujourd’hui, je cherche à comprendre pourquoi tout cela n’est pas déjà en place à grande échelle. Mon action se limitera peut-être à un modeste rôle d’agitateur d’idées et à faire un peu de lobbying, mais il est tout aussi possible que je me lance dans une création d’entreprise pour que cette solution existe enfin.
Quoi qu’il en soit, la priorité dans l’habitat reste l’isolation. Il ne faut pas voir les possibilités d’effacement du pic comme des opportunités financières pérennes et prioritaires sur cette dernière. Ceci dit, sachant qu’il faudra plus de 50 ans pour renouveler le parc immobilier et que le chauffage et l’eau chaude sanitaire représentent encore plus de la moitié de la consommation électrique, le déploiement de la domotique de la chaleur (notamment dans des habitats ou des monuments difficiles à isoler) constitue un axe complémentaire d’amélioration du système global.
Je crois surtout que la domotique de la chaleur pourrait être la locomotive des solutions contribuant à faire exister l’élasticité de la demande. Et on verra que la visibilité donnée au signal prix de l’énergie aura un effet très positif sur la prise de conscience vis à vis de la rareté des ressources et aménera de nouveaux réflexes économiques. La gestion de la demande est un terrain d’innovation formidable qui s’ouvre à nous. Allons-y !
Sources :
RTE
Présentation de Tom Raftery : Electricity 2.0
Tarifs EDF